Witold Januszewski et son oeuvre
Même si l’œuvre de Witold Januszewski, connue à ce jour, est relativement restreinte, son analyse permet de constater combien l’éventail de ses possibilités artistiques était large et avec quelle facilité il pouvait passer des questions philosophiques abordées dans ses compositions à l’huile à la légèreté de ses illustrations. Les œuvres les mieux connues aujourd’hui datent des années 1960-1980, sa dernière période de création.
Un seul dessin représentant la cathédrale Saint-Jean de Varsovie nous est parvenu de sa jeunesse, et nous ne disposons que de quelques illustrations du temps de la guerre et de ses séjours dans les camps d’internement. Même les œuvres réalisées pendant la fructueuse période espagnole ont disparu ou sont impossibles à localiser à ce jour. De ce fait, il nous semble important de leur consacrer un peu plus d’attention.
Les débuts artistiques en Espagne 1943-1947 : la période figurative
La première exposition de Barcelone
D’après le catalogue de Barcelone de 1945, Januszewski conçoit cette première exposition autour de Yanosik et de sa légende. Comme le souligne à juste titre l’auteur de la préface Luis Monreal y Tejada, ce héros montagnard polonais est, avec toute la force et la vigueur de sa jeunesse, l’incarnation même de l’idée de la liberté en cette période dramatique de la fin de la guerre, d’exil, d’avenir incertain, de changements politiques dans son pays natal. Le triptyque représentant, au centre, le chef de brigands des Tatras, plein de vie et de joie, dans un saut périlleux au-dessus d’un feu, constitue l’axe de l’exposition.

Une thématique polonaise – La nostalgie du pays natal
La fascination de Januszewski pour le personnage de Yanosik lui vient certainement du recueil de poésies de Julian Dobrowolski-Szynalik, qu’il a illustré en 1942 en France. Outre les scènes de l’occupation, ses illustrations, représentaient précisément cette figure légendaire.
D’autres œuvres présentées en 1945 abordent des sujets divers, allant du répertoire classique emprunté aux grands maîtres, comme l’annonciation, la Vierge à l’enfant ou l’adoration des bergers, aux sujets d’actualité, comme Varsovie – 1944, en passant par les portraits et les paysages. Januszewski n’hésite pas à souligner son origine polonaise, aussi bien dans le catalogue, où il se désigne comme un « pintor polaco », que dans le style et le sujet de ses œuvres. Les thèmes universels sont stylisés à la manière du folklore polonais. L’exposition est une révélation pour le public barcelonais qui n’a eu que rarement l’occasion de voir l’art polonais, et rencontre un franc succès. La critique souligne le goût de l’auteur pour le beau et le décoratif. Malgré la mauvaise qualité des images reproduites dans le catalogue, on peut apprécier la perfection d’un dessin linéaire sur lequel est basée la composition. Une ligne élégante, sinueuse, serpentine, suggérant le mouvement délimite des formes simplifiées remplies de couleurs posées en aplats. La critique espagnole y voit des influences stylistiques byzantines. Pour nous, ce sont plutôt des réminiscences du style linéaire, décoratif du mouvement « Jeune Pologne », dont était nourri le jeune artiste.

Les œuvres montrées en 1947 à la galerie Franquesa constituent un ensemble composé de tableaux aux thèmes variés, et de cartons décoratifs représentant les danses polonaises, dont la polka, le kujawiak ou le trojak. Ici, l’artiste se souvient, sans aucun doute, des œuvres de Zofia Stryjenska, si populaires dans la Pologne d’avant-guerre, inspirées des costumes et danses folkloriques polonais. Januszewski dessine les mêmes motifs dans un style encore plus dynamique encore, mouvementé, mettant l’accent sur l’élan des danseurs. Certains dessins préparatoires conservés, montrent un trait précis, fort et volontaire définissant les formes. L’artiste envahie toute la surface, sans se soucier de couper parfois arbitrairement des formes. Il démontre un intérêt accru pour les motifs décoratifs. Dans les œuvres finales, il grave des formes sur du carton avec un trait précis qu’il remplit ensuite avec de la couleur uniforme. Ainsi, il parvient à des formes simplifiées, synthétiques.





Réminiscences de la guerre et souvenirs du pays natal
Nous connaissons certains tableaux de la période espagnole à travers des photographies en noir et blanc. Ils représentent des réminiscences de la guerre et des souvenirs du pays natal : L’Exil, Les Martyrs de Varsovie, Le Mois d’août en Pologne. Cependant, les motifs locaux, catalans, comme les vues de Costa Brava, les plages, les amandiers en fleurs, le flamenco ou la corrida deviennent de plus en plus importants. On y remarque une sorte d’accalmie et de concentration, comme si l’artiste avait accepté sa condition et trouvé sa propre expression. Pour la critique espagnole, ce changement est lié au contact de la peinture contemporaine espagnole, et de la lumière et des couleurs propres à cette terre hospitalière.




Les années parisiennes 1947-1960 : suite de la période figurative
Après son installation à Paris en 1947, Januszewski continue à peindre dans le style figuratif. Il emploie alors un dessin fort et simplifié, souligné d’un contour linéaire noir, empli de couleurs posées par aplats. En 1955, un séjour en Provence lui inspire une série de paysages d’un coloris riche, chaud, nuancé, exécutés dans un style plus réaliste proche de l’École de Paris d’avant-guerre. Mais ce n’est qu’un accident de parcours et il abandonne rapidement cette voie. D’autres œuvres des années 1950 annoncent le style abstrait. L’artiste tend à la simplification des formes à travers la géométrisation, l’atrophie, la déformation, ainsi que par une gamme de couleurs restreinte, où dominent des harmonies froides aux tonalités bleu-gris. Januszewski expérimente différentes techniques, en chargeant les couleurs de diverses substances.




La période de la maturité
- L’abstraction lyrique des années 1960-1981
A la fin de sa carrière, il pratique une peinture abstraite dans sa forme lyrique, basée sur un jeu de tâches colorées, irrégulières. Il en résulte des harmonies belles et sophistiquées. Là encore, une gamme de couleurs froides prédomine. L’artiste résout sur la toile le problème des relations des nuances de couleurs proches. La surface du tableau, mate, pleine d’aspérités, est pour lui un élément important. Elle est fréquemment animée de rainures verticales parallèles, comme si l’artiste avait « ratissé » la peinture avec un outil non identifié.
Parfois, il grave dans la peinture avec le manche du pinceau des lignes qui forment un dessin discret, autonome qui enrichit les couleurs de la composition d’un élément linéaire prêtant à l’œuvre une autre lecture parallèle à la lecture chromatique. Le dessin, bien que d’apparence abstraite, fait parfois ressurgir des formes reconnaissables. Ce système de lignes irrégulières tire son origine probablement
de la géomancie, l’un des arts divinatoires les plus anciens, dans lequel l’avenir est déchiffré à partir des signes dessinés dans la terre.
Ce n’est pas par hasard que Januszewski intitule Géomancie en couleurs une pièce exceptionnelle dans son œuvre par sa gamme de couleurs chaudes, jaune-orange-rouge, rappellant le coloris des entrailles de la terre. De manière générale, les titres sont importants pour l’artiste et reflètent ses intérêts larges et diversifiés, nourris d’une lecture abondante et variée concernant des domaines aussi différents que l’Univers, les mythologies, la gnose, la sagesse d’Extrême-Orient, la nature et ses mystères.
Ainsi, la peinture de Januszewski est une vision abstraite, colorée du monde qui vise à émouvoir le spectateur, l’invite à réfléchir et à méditer sur des questions cosmogoniques et philosophique.


- Les recherches graphiques
L’artiste s’essaie à différentes techniques, comme le crayon, les encres de couleurs, la gouache, l’huile ou les techniques mixtes. Il réalise aussi des collages, pour des décors, à partir de formes découpées en papier disposées directement sur le mur qui lui sert ainsi de fond. Il s’intéresse aussi à la sculpture, même mineure, réalisée par exemple en papier de couleur découpé, dont il façonne des formes qu’il met en scène. Parfois, il les photographie pour s’en servir dans l’illustration. Il fabrique aussi des objets d’art, notamment des bijoux en divers matériaux, comme le bois, les pierres ou les métaux qu’il assemble parfois.



- Une grande diversité de techniques
L’artiste s’essaie à différentes techniques, comme le crayon, les encres de couleurs, la gouache, l’huile ou les techniques mixtes. Il réalise aussi des collages, pour des décors, à partir de formes découpées en papier disposées directement sur le mur qui lui sert ainsi de fond. Il s’intéresse aussi à la sculpture, même mineure, réalisée par exemple en papier de couleur découpé, dont il façonne des formes qu’il met en scène. Parfois, il les photographie pour s’en servir dans l’illustration. Il fabrique aussi des objets d’art, notamment des bijoux en divers matériaux, comme le bois, les pierres ou les métaux qu’il assemble parfois.
- L’activité d’illustrateur
Parallèlement à la peinture, l’artiste se consacre à l’illustration, notamment dans les années 1950. Ses calendriers et ses cartes postales sont dessinés dans un style bien particulier, facilement reconnaissable. Il illustre volontiers des ouvrages pour enfants. Il utilise un symbole lisible qui permet d’identifier immédiatement la scène représentée, et vise souvent des effets comiques. L’artiste emploie dans ses dessins un trait fort et volontaire et les contrastes du noir et du blanc, sans passages de gris. Il s’inspire certainement de l’art folklorique polonais, notamment la tradition du bois gravé, vu probablement à travers les œuvres de Wladyslaw Skoczylas très populaires et appréciées en Pologne dans l’entre-deux-guerres.










Ewa Bobrowska-Jakubowska, Historienne de l’art Commissaire des expositions de Januszewski en Pologne 2007 – 2010 |