Witold Januszewski 1915 – 1981
Witold Januszewski
1915 – 1981

Entre Grodno & Paris
1 – LES racines polonaises
La jeunesse à Grodno
Witold Januszewski, fils d’Antoni Jan et Apolonia née Pawlowska, est né le 2 février 1915 à Grodno dans l’actuelle Biélorussie. Sa famille, dont l’histoire est importante pour l’artiste, porte les armoiries de Dabrowa. L’enfance passée à Grodno et dans la propriété sur le Niemen revient souvent dans son oeuvre. Les représentations de l’église orthodoxe en pierre de Grodno, de la maison familiale et du bois transporté sur le Niémen avec la figure d’un flotteur solitaire apparaissent dans plusieurs de ses dessins, souvent de façon symbolique, exprimant la nostalgie du pays d’origine, si intense durant l’exil.




Les années de formation
Pour faire ses études artistiques il choisit Varsovie, et non Vilnius, même si cette ville lui est plus proche du point de vue familial, comme géographique. Il profite alors pleinement de sa vie de jeune homme, se passionne pour tout ce qui lui permet de se rapprocher de la nature, et s’adonne au sport escalade en haute montagne, ski, natation, aviron. La haute montagne, le ski, la natation, tout ce qui lui permet de s’approcher de la nature, le fascine. Il termine ses études juste avant la Deuxième Guerre Mondiale.

2 – LES ANNées de guerre
L’arrivée en France
Januszewski a été mobilisé dès le début de la guerre. Il quitte la Pologne avec l’armée après la défaite de septembre 1939 et arrive en France en janvier 1940. Après l’échec d’une tentative de départ pour l’Angleterre, il réussit à gagner la zone libre.
Les camps d’internement
Il est interné dans les camps pour étrangers du sud-ouest de la France, notamment à Argelès-sur-Mer, Livron et Montestruc. Les représentants des autorités polonaises de Londres, souhaitant entretenir des soldats internés prêts à combattre, s’efforcent de maintenir leur moral en organisant des activités, avec l’accord de l’administration française. Ainsi,Januszewski participe en 1941 au premier stage de moniteurs du YMCA polonais en France, à Alvignac dans le Lot, et reçoit des commandes pour la réalisation de décors ou cartes postales.

Les artistes dans la clandestinité
Durant son séjour dans le camp de Livron, il se lie d’amitié avec Józef Lobodowski (1909-1988), un poète jeune, mais déjà connu et controversé, et aussi fervent patriote. C’est dans les colonnes de la revue militaire et patriotique «Wrócimy» (Nous reviendrons), publiée clandestinement par Lobodowski à Livron que débute son activité d’illustrateur. Rosa Bailly, Edward Kubinski, Henryk Palmbach, Wladyslaw Pelc, Andrzej Sieminski, Kazimierz Wierzynski, Maria Winowska comptent parmi les collaborateurs de la revue. «Wrócimy» n’est pas la seule publication polonaise clandestine en France, mais elle se distingue par sa qualité élevée d’un point de vue aussi bien idéologique, que littéraire ou artistique, notamment grâce aux bois gravés de Januszewski.
La résistance
En 1942, l’artiste illustre le recueil de poèmes d’un jeune diplômé des lettres polonaises, originaire de la région montagnarde de Podhale, membre de la Résistance, Julian Dobrowolski-Szynalik (1912-1987).
Le volume intitulé «Zbuntowana wolnosc» (La Liberté révoltée) paraît chez Samuel Tyszkiewicz, à Nice. Januszewski, comme Szynalik, est actif dans le réseau Monika (POWN – Organisation Polonaise de Lutte pour l’Indépendance), l’une des structures de la Résistance polonaise en France.

La traversée des Pyrénées
A Toulouse, il rencontre une Polonaise, étudiante en histoire de l’art originaire de Lomza, Félicia Borkowska, qu’il épouse en 1942. Quand les nazis occupent la zone libre, les jeunes époux traversent clandestinement les Pyrénées avec un groupe d’officiers polonais, probablement sous l’ordre des autorités polonaises de Londres, pour se rendre, via l’Espagne et le Portugal, en Angleterre. Après diverses péripéties, ils s’établissent à Barcelone en 1943. Les détails de leur séjour catalan ne sont pas bien connus à ce jour. On sait simplement qu’ils participent au programme d’aide aux enfants de la Croix Rouge polonaise. Januszewski peut enfin se consacrer à son art, et les résultats de son travail ne se font pas attendre.

3 – LES Débuts artistiques
C’est à Barcelone qu’il inaugure sa première exposition personnelle avec 50 tableaux – peintures à l’huile, gouaches et dessins – au Palacio de la Virreina. L’exposition est accompagnée d’un petit catalogue illustré. La critique et le public barcelonais, n’ayant eu que peu d’occasions de faire connaissance avec l’art d’un pays situé à l’autre extrémité du continent européen, la reçoivent favorablement. En 1947, une deuxième exposition à succès est organisée à la Galerie Franquesa. La même année, l’artiste réalise les décors de l’exposition consacrée au livre français à l’Institut Français de Barcelone. Une véritable carrière artistique s’ouvre devant lui.

4 – l’installation en france
Les premières années à Montmartre
Fin 1947, Januszewski quitte l’Espagne pour Paris et s’établit à Montmartre. Son élan artistique se poursuit dans l’après-guerre. Il participe activement à la vie de la communauté polonaise en France. Le couple Januszewski est proche de la femme de lettres Maria Winowska, et correspond régulièrement avec Józef Lobodowski installé alors à Madrid. Witold illustre son recueil de poésies « Uczta zadzumionych » (Le Festin des pestiférés) publié en 1954 à Paris. Des relations animées le lient avec le milieu de l’émigration polonaise en Grande Bretagne et aux États-Unis. Certains documents nous permettent de penser qu’il voulait se rendre outre-Atlantique.
La communauté artistique polonaise en France
Januszewski côtoie la communauté artistique polonaise de Paris rassemblée autour de l’Union des Artistes Polonais en France, dont il fréquente les réunions. Il tisse des liens avec ses confrères, comme en témoigne un portrait qu’il dessine en 1948 du graveur et peintre polonais, Konstanty Brandel. Il participe à l’exposition des œuvres des artistes polonais liés à la France, dont certaines, comme celles de Marcoussis, de Boznanska ou de Pankiewicz, sont exposées à titre posthume, à la galerie des Beaux-Arts à Paris en 1948. Les travaux de Witold font également partie des expositions organisées par l’Union au Séminaire Polonais rue des Irlandais à Paris en 1952 et 1954. En 1956, il prend part avec 22 artistes, dont Konstanty Brandel, Henryk Berlewi et Franciszek Black, à l’Exposition des Peintres et Sculpteurs Polonais en France montée par l’association Amis de l’Art Polonais à De Boeck’s Hôtel à Bruxelles. En 1959, on remarque sa participation au 1er Salon des Artistes Polonais en France à Lille.

5 – Les autres activités artistiques
Le travail de graphiste et d’illustrateur
À la même époque, tout en poursuivant son travail pictural il exerce une activité d’illustrateur, d’abord pour des titres polonais, notamment «Slowo Polskie» (la Parole polonaise), l’organe de l’émigration polonaise d’après-guerre publié à Paris et la revue catholique «Mlode Serce» (Jeune Cœur) publiée dans le Nord. Il collabore ensuite avec la presse et des maisons d’édition françaises (Bayard et Bonne Presse – aujourd’hui Bayard presse) et dessine aussi des cartes postales et des calendriers.
Les commandes pour des églises
Il réalise également des oeuvres pour des églises, comme pour l’église polonaise de Notre-Dame-de-Waziers, dans le Nord et pour l’église Notre-Dame-des-Chênes à Ermont, en région parisienne (la sculpture en bois de chêne de la Vierge et le crucifix en cuivre martelé de l’autel, ont disparu et seules leurs photographies nous sont parvenues).

6 – GRODNO-PARIS, ALLER SIMPLE…
Le choix
Dans la période de l’après-guerre, l’artiste considère apparemment son séjour en France comme provisoire, espérant certainement des changements politiques en Pologne – en particulier la chute du régime communiste – qui lui auraient permis de rentrer dans son pays natal. Jusqu’en 1955, il se sert de son passeport polonais émis en 1943 par Jozef Potocki, chargé d’affaires de la Légation polonaise à Lisbonne, puis prolongé à Madrid. C’est seulement quand il ne peut plus renouveler son passeport polonais qu’il demande le statut de réfugié politique en France. En 1959, il obtient la nationalité française.

La période ouvrière
À partir du milieu des années 50, malgré une activité artistique intense comme peintre, et graphiste, les circonstances et la dure réalité de ma vie le contraignent à chercher du travail comme ouvrier. Il travaille de 1957 à 1973 chez British Petroleum (BP). Il n’abandonne pas la peinture pour autant, bien qu’il puisse y consacrer uniquement les week-ends et les vacances. Cette période « ouvrière » qui dure 15 ans lui permet de découvrir un monde jusque-là totalement étranger. Cette expérience trouve un écho dans certaines de ses œuvres. Curieusement, c’est au cours de ces années difficiles que son style se développe, grâce au contact de la scène artistique animée de Paris, jusqu’à atteindre sa maturité au début des années 1970. L’artiste continue à exposer, principalement dans des expositions
de groupe et des salons.

7 – UN STYLE ARRIVÉ À MATURITÉ
En 1974, une importante exposition de son œuvre est organisée à la galerie Lambert dans l’île-Saint-Louis à Paris, haut lieu de la vie artistique polonaise. Januszewski y montre une vingtaine de toiles de grand format et des dessins constituant un ensemble de grande qualité, cohérent et harmonieux. La critique française considère cette exposition comme un
début artistique tardif, tout en soulignant la maturité et la richesse intérieure de l’auteur. Pourtant, le véritable début artistique de Januszewski a bien lieu à Barcelone dans les années 1940. C’est l’histoire mouvementée de la seconde moitié du XXe siècle qui a forcé l’artiste à renouveler à chaque fois ses efforts, dans une sorte d’errance sans fin, sans lui donner la possibilité de profiter des succès rencontrés. Ses réussites espagnoles ne comptent pas à Paris, tout comme la renommée des écoles artistiques polonaises n’était pas vraiment valable en Espagne.
Le destin de l’émigré semble toujours le même. Lorsqu’il quitte le pays natal, il n’est plus jamais chez lui nulle part, même s’il est parfaitement intégré dans le pays d’accueil. Il lui faut toujours faire ses preuves. Il s’y ajoute la nostalgie, et le faux espoir d’une vie meilleure et plus facile ailleurs. La patrie perdue ne se laisse pas facilement remplacer. Entre la France l’Espagne, puis de nouveau la France et le rêve de l’Amérique lointaine, il y a toujours Grodno et les rives pittoresques du Niémen. Cependant, il ne faut pas sous-estimer l’importance pour l’artiste de l’environnement français. L’atmosphère artistique unique de Paris, même si, après la guerre, New York l’a supplanté dans son rôle de capitale mondiale de l’art, a certainement contribué à la maturation de son style.
Witold Januszewski est mort en 1981 à Ermont en région parisienne. Il n’a pu revoir, avant sa mort, sa Pologne natale qui lui a tant manqué. Aujourd’hui, un peu plus d’un quart de siècle après sa disparition, le public polonais peut enfin découvrir une œuvre qui n’avait encore jamais été exposée dans son pays d’origine.

Ewa Bobrowska-Jakubowska, Historienne de l’art Commissaire des expositions de Januszewski en Pologne 2007 – 2010 |